Alors que les parlementaires ont adopté en CMP la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille et notamment son volet fiscal visant à assouplir les conditions dans lesquelles peut être octroyée une décharge de responsabilité solidaire en matière fiscale, nous avons demandé à Maître Paul Féral-Schuhl associé du Cabinet Arfé Avocats de nous apporter son éclairage.
En quoi le système de décharge de responsabilité solidaire existant n’était pas pertinent voire injuste
Avant de parler de l’injustice du système de décharge de responsabilité solidaire, il faut parler de l’injustice du système de responsabilité solidaire lui-même.
Il s’agit d’un concept bien français selon lequel n’importe lequel des deux époux ou partenaire de PACS peut être recherché en paiement des dettes d’impôt sur le revenu, d’impôt sur la fortune et de taxe d’habitation du foyer fiscal, quelle que soit sa quote-part de revenus ou de patrimoine.
La logique voudrait plutôt que chacun soit responsable d’acquitter les impositions afférentes à ses propres revenus et à son patrimoine, sans avoir à être inquiété par les manquements du conjoint, encore moins lorsque le régime matrimonial est celui de la séparation de biens.
Face à ce principe de base fondamentalement injuste, il existe néanmoins effectivement une procédure de décharge de responsabilité solidaire mais les conditions pour obtenir cette décharge sont drastiques : il faut être séparé au jour de la demande de décharge, avoir eu soi-même un comportement fiscal irréprochable depuis la séparation (pas de manquement déclaratif et pas de manœuvres pour échapper au paiement de l’impôt) et, surtout, qu’il y ait une « disproportion marquée » (ce sont les termes de la loi) entre la dette du couple et la situation patrimoniale et financière du demandeur.
Cela exclut de fait les personnes encore mariées qui ne peuvent jamais obtenir de décharge, mais également les veufs/veuves qui ne sont pas « séparées » au sens du dispositif. Ainsi, une personne qui fait l’objet d’un redressement après le décès de son conjoint n’aura pas d’autre choix que de passer le reste de sa vie à acquitter la dette du foyer fiscal même si celle-ci est afférente aux revenus de conjoint décédé depuis…
Par ailleurs, la condition de « disproportion marquée » pose régulièrement problème. En effet, selon la loi, si le demandeur est en capacité de rembourser la dette fiscale en moins de 3 années à l’aide de son patrimoine et de ses revenus nets de charge, on estime qu’il n’y a pas de « disproportion marquée » et la décharge ne peut pas être accordée. A l’inverse, si le demandeur est en mesure de démontrer que l’intégralité de son patrimoine et de ses revenus ne permettront pas de rembourser la dette en moins de trois années alors il y a aura « disproportion marquée » pouvant conduire à une décharge, sous réserve que les autres conditions soient remplies.
Deux exemples permettent de mieux comprendre cela :
- Si la dette du couple est de 150.000€ mais que le demandeur dispose d’un patrimoine de 200.000€, il n’y aura pas de décharge possible car le patrimoine du demandeur suffira à lui seul à rembourser la dette.
- Si la dette du couple est de 500.000€ et que le demandeur dispose d’un patrimoine de 300.000€ et de revenus annuels nets de charge (loyer, alimentation, électricité, etc.) de 30.000€, alors il y aura disproportion marquée car le demandeur sera dans l’impossibilité de rembourser la dette en moins de 3 années (il lui faudra 6,67 années dans cet exemple ([500.000€ – 300.000€]/30.000€).
On le voit, ce critère de la disproportion marquée est particulièrement choquant. Il n’y a bien que le législateur et l’administration fiscale pour considérer que dans le 1er exemple, nous ne sommes pas dans un cas de « disproportion marquée ». La dette représente à elle seule 75% (!) du patrimoine du demandeur et il ne peut bénéficier d’une décharge…
Un autre écueil du dispositif est que les sommes appréhendées par l’administration fiscale avant la demande de décharge lui sont définitivement acquises. Même si le demandeur obtient une décharge, il ne pourra pas obtenir ce qu’il a déjà réglé. Cela est d’autant plus choquant que le demandeur se rend souvent compte de l’existence de la dette par des saisies à tiers détenteur (SATD) exercées auprès de son employeur et de ses banques. En effet, les actes de procédure sont régulièrement notifiés à un seul des ex-conjoint laissant la personne séparée dans l’ignorance totale de ce qu’il se passe pendant plusieurs années. Ainsi, le temps qu’il comprenne la situation, il est déjà trop tard car les SATD ont un effet d’attribution immédiate. Les sommes appréhendées ne seront donc jamais restituées. Bien souvent, ce sont les économies d’une vie qui disparaissent en un éclair.
Que propose le nouveau texte
Le nouveau texte propose de créer une nouvelle procédure de décharge « gracieuse ». Cette nouvelle procédure viendrait compléter et non remplacer la procédure légale existante. (Lire notre article sur le sujet : « Décharge de responsabilité solidaire fiscale des ex-conjoint.es : le nouveau dispositif a été adopté »)
Le but principal de cette nouvelle procédure est de laisser à l’administration fiscale la possibilité d’accorder une décharge de responsabilité solidaire à des ex-conjoints qui ne remplissent pas le critère de la disproportion marquée et qui ne sont pas à l’origine de la dette (c’est-à-dire des personnes qui sont des « tiers à la dette »).
Autre avancée significative, le dispositif légal serait réformé et permettrait au demandeur d’obtenir la restitution des sommes acquittées avant sa demande s’il obtient sa désolidarisation.
Ces nouvelles dispositions répondent-elles aux attentes des conjoint.es
Oui et non. On ne peut pas nier que c’est un pas en avant car le nouveau texte va nécessairement permettre à plusieurs demandeurs d’obtenir une décharge de responsabilité qu’ils n’auraient pas pu obtenir sur la base du dispositif légal. La restitution des sommes appréhendées avant la date de la demande est par ailleurs une avancée formidable que la version finale du texte devra absolument conserver.
On peut néanmoins regretter qu’il faille toujours être séparés pour être éligibles à une décharge. Les couples encore mariés ou pacsés, de même que les veufs/veuves resteront inéligibles.
Dans l’attente d’une véritable suppression de la solidarité fiscale entre époux, il aurait également été préférable de réformer le dispositif légal lui-même en assouplissant la façon dont la « disproportion marquée » est appréciée. Le texte adopté par les sénateurs prévoyait à l’origine d’exclure certains biens de l’évaluation patrimoniale du demandeur : sa résidence principale (ce qui est déjà prévu par la doctrine administrative d’ailleurs) et les biens acquis avant le mariage ou reçus par donation ou succession. Cette réforme aurait été pleine de bon sens et aurait permis de régler beaucoup de situations sans avoir à s’en remettre au « pouvoir gracieux » de l’administration fiscale dont ne sait pas encore très bien comment il sera utilisé.
Par ailleurs, il faut absolument réformer les procédures de recouvrement. Actuellement, que le demandeur obtienne sa désolidarisation ou non, l’intégralité de son patrimoine reste appréhendable par l’administration fiscale s’il ne règle pas la quote-part d’imposition restant à sa charge. Or, certains biens doivent absolument être rendus insaisissables. On ne voit pas bien pourquoi des biens reçus par donation ou succession ou des biens acquis avant le mariage devraient servir à rembourser les dettes d’un ex-conjoint !? Ce sont par définition des biens sans lien avec la dette de l’ex-conjoint.
Enfin, le calcul de la décharge continue de poser problème. Même lorsqu’il obtient sa désolidarisation, le demandeur conserve une quote-part de la dette à sa charge car le calcul prévu par le dispositif prévoit simplement une répartition de la dette fiscale au prorata des revenus de chacun. Ainsi, quand le rappel concerne des revenus imposés au barème progressif, le taux moyen du foyer augmente et l’imposition afférente aux revenus du demandeur également. Si plusieurs millions sont en jeu, le demandeur qui avait un taux d’imposition de 10% verra ses salaires ou ses pensions de retraite imposés à 45%. Il en résultera donc quand même plusieurs milliers d’euros à sa charge qu’il sera tenu d’acquitter. Il serait plus logique que l’imposition du demandeur soit calculée comme s’il était imposé séparément, de manière à ne pas être pénalisé par la prise en compte des revenus de son ex-conjoint pour le calcul de son taux d’imposition.