Le sujet est récurrent dans la pratique des professionnels du patrimoine : le préciput est-il une opération de partage, fondant alors l’Administration fiscale à percevoir le droit de partage lorsqu’il est exercé ?
Brève de Martin Guivarch élève notaire au sein du service famille de l’étude Michelez Notaires
Le préciput, cette clause insérée dans un contrat de mariage permettant de prélever sans indemnité et d’après le texte (article 1515 du Code civil), avant tout partage un bien de la masse commune, fait l’objet d’incertitudes jurisprudentielles fortes. L’enjeu est principalement fiscal. Explications.
C’est le Tribunal Judiciaire de Rennes[1] qui a lancé les « hostilités », en retenant que l’exercice du préciput constituait une opération produisant les mêmes effets qu’un partage, justifiant alors la perception du droit de partage au taux de 2,50 % sur le montant de l’actif net partagé.
Cette décision, qui avait largement inquiété la doctrine et la pratique, avait été battue en brèche par trois décisions, la première rendue par le Tribunal Judiciaire de Niort[2], par la suite confirmée par la Cour d’appel de Poitiers[3], la seconde par le Tribunal Judiciaire de Lille[4], et la troisième par le Tribunal Judiciaire de Grenoble[5]. Dans ces décisions, les juges du fond retenaient que le prélèvement préciputaire ne correspondait pas à une opération de partage, celui-ci intervenant par définition avant tout partage. Retenir une telle qualification fait du préciput, comme le retient la jurisprudence, « une convention de mariage[6] ».
La Cour d’appel de Rennes a finalement repris sur la position de la Cour d’appel de Poitiers par un arrêt du 19 mars 2024[7]. C’était sans compter sur la Cour d’appel de Grenoble[8], qui est venue troubler la fête, validant l’argumentaire de l’Administration fiscale, retenant alors la perception du droit de partage sur les biens objets du préciput. Les perspectives sont incertaines, mais un arrêt de la Cour de cassation, excluant la clause de préciput des opérations de partage, se faisait attendre.
Le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers laissait espérer une solution pérenne, que nous attendrons encore…
Porté à l’examen de la Chambre commerciale, compétente en matière fiscale, les juges ont sursis à statuer[9], formant une question préjudicielle à leurs collègues de la 1ère Chambre civile, compétents en matière de droit patrimonial de la famille, à l’effet de répondre à la question suivante, éminemment civile, mais aux conséquences fiscales importantes : le préciput est-il une opération de partage ?
La question reste entière, mais dans un contexte où Bercy peine à trouver des recettes pour combler le déficit, il ne faudrait pas que ces hésitations juridiques conduisent à voir dans la clause de préciput un moyen simple de « renflouer les caisses » de l’Etat.
[1] Tribunal Judiciaire de Rennes, 20 avril 2021, n°19/03432
[2] Tribunal Judiciaire de Niort, 22 mars 2022, n°20/01453
[3] Cour d’appel de Poitiers, 4 juillet 2023,
[4] Tribunal Judiciaire de Lille, 4 avril 2022, n°20/03477
[5] Tribunal Judiciaire de Grenoble, 6 mars 2023, n°21/04270
[6] Motifs repris dans les décisions du TJ de Niort et du TJ de Rennes supra
[7] Cour d’appel de Rennes, 19 mars 2024, n°21/03418
[8] Cour d’appel de Grenoble, 24 septembre 2024, n°23/01411
[9] Cass. Com., 16 octobre 2024, (725 F-D)
Martin Guivarch est élève notaire au sein du service famille de l’étude Michelez Notaires. Il s’intéresse aux sujets de droit patrimonial de la famille et à leurs conséquences fiscales. Il est par ailleurs membre de l’Association des Notaires en Devenir (ANED) de l’INFN de PARIS. Situé à Paris, Michelez Notaires regroupe une centaine de notaires, juristes et collaborateurs. Michelez Notaires a développé des domaines de spécialisation reconnus en droit patrimonial, droit de la famille, immobilier institutionnel et d’entreprise, financement, droit forestier et droit international privé. |